De Pouilly au Muscadet, une rapide revue de Terroirs

Et v’la t’y pas que notre ami Cobbold, David pour les intimes, en remet une couche sur les terroirs dans sa dernière chronique ICI même. Pour lui, « le fameux «goût de terroir» est un mythe si on entend par «terroir» la nature chimique du sol. Il est avéré que des traces d’élements contenus dans les sols se trouvent dans des vins. Mais les quantités de ces ingrédients sont bien inférieures aux seuils de détection du palais humain ! Un vin n’a que rarement un goût de raisin, et ses saveurs sont, pour la plupart, causées par des molécules organiques complexes, produites dans le raisin ou pendant la fermentation. Ces molécules ne viennent pas du sol et c’est un acte imaginaire, peut-être poétique, que de croire le contraire. »

Il reste que son article et le débat qui suit sont à lire ou à relire de toute urgence !

Goût de terroir ou pas, je reviens justement de la Loire avec une idée (du moins si j’ai bien compris) pas si nouvelle et bien Française qui consiste à affirmer que si le terrain est propre et si le vigneron fait son job au niveau de sa vigne, je reste persuadé que le goût du terroir qu’il travaille s’exprimera d’une manière ou d’une autre dans le verre. Bien sûr qu’il y a des variantes sur une même appellation : le terroir de Bourgueil, par exemple, ne s’exprimera pas de la même façon s’il vient des graviers ou de la côte. Il s’exprimera aussi différemment selon l’approche du vigneron, selon le cépage, selon son travail à la vigne, selon l’âge et la santé de la vigne, selon sa manière de vinifier. Idem à Gigondas où l’on n’aura pas la même expression là haut, dans les Dentelles, qu’en bas du village, dans les sables. C’est ce qui rend la généralisation fort difficile et même arbitraire. Admettons tout simplement de façon aussi arbitraire que le terroir, mené par un homme (femme) bien entendu, intervient à plus de 60 % dans la définition du style d’un vin et j’en serais pour ma part ravi. J’avance des preuves (non scientifiques) qui bien sûr n’en seront pas pour certains (trop poétiques, peut-être) mais qui pour moi sont la parfaite illustration de la prédominance du terroir dans le goût d’un vin. J’en ai récoltées au moins deux lors du dernier salon des Vins de Loire, à Angers.

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Vignes enherbées en Muscadet au moment de la taille. Photo©MichelSmith

Avec le Domaine Michel Redde et Fils, d’abord, à Pouilly-sur-Loire, mais en Pouilly Fumé, où le maître des lieux, Thierry Redde est en train de laisser ses deux fils, Sébastien et Romain, prendre de fort belles et audacieuses initiatives. Depuis quelques années, Thierry, dont le père, Michel, s’est illustré avant lui en créant une légendaire cuvée « Majorum » qui brille toujours à table face aux mets les plus exigeants, avait frappé les amoureux du sauvignon avec 3 cuvées « de terroirs » au cahier des charges sans appel à moins d’être archi chipoteur : même cépage, même vendange manuelle en caissettes de 12 kg, même vinification et élevage en foudres et demi-muids durant 18 mois sur lies… Ses fils s’attaquent à un morceau de choix : créer un vignoble sur une ancienne mine à silex. Là bas, on appelle la vigne « Châteauneuf-du-Silex » tellement la similitude avec Châteauneuf-du-Pape a étonnée les deux jeunes vignerons. Alors, alors, me direz vous ? Ben oui quoi, alors ? Alors, on a dans le même millésime (2009) trois vins (bientôt quatre) bien différents d’un même auteur, sur une même appellation et ce n’est pas la première fois que je m’en rends compte, trois vins à part, même s’ils sont de la même famille. Donc, trois terroirs dans une même appellation. Et c’est un peu ce qui emmerde les hommes de science (pas tous, car il y a aussi des amateurs chez les savants) ou les pragmatiques anglo-saxons, même si David est un personnage à part, à ranger en Gascogne, pays qui reste un peu anglais quelque part…

  • « Les Cornets » (marnes Kimméridgiennes du jurassique supérieur appelées aussi « terres blanches »), très fin au nez, dense et sauvage au possible, fort domptable cependant, donne un vin à fond dans la minéralité avec des notes fraîches de roche crayeuse.
  • « Les Champs des Billons » (calcaires Portlandiens du jurassique appelés aussi « caillottes »), à la fois dense, strict et profond, trame serrée avec des notes grillées et une grande longueur.
  • « Les Bois de Saint-Andelin » (silex Albiens  sur fonds argileux sur le point culminant de l’appellation), épaisseur, volume, densité, fraîcheur, longueur, notes de truffe blanche, grande persistance sur la fraîcheur.
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La mine de silex de Pouilly-sur-Loire tout juste plantée par les Redde. Photo©DR

J’en conviens, ces notes de dégustations prises à la va-vite valent ce qu’elles valent. En outre, je ne suis pas un dégustateur patenté et pour cette raison, je ne prétends pas être un expert en la matière. Pourtant, à une heure de route d’Angers, une autre dégustation m’a ouvert l’esprit lors d’une prolongation en terres de Muscadet, chez l’ami Jérémie Huchet (Château de la Chauvinière) où j’ai pu goûter de manière plus confortable (hélas, pas à l’aveugle) plusieurs vins de crus reflétant parfaitement leurs terroirs. Nous sommes en Muscadet, pas à Pouilly. Souci numéro un du bon vigneron du Muscadet ? Remonter le retard sur le tarif en tentant d’imposer une idée de grands vins tout en invoquant le terroir avec un « T » majuscule. Logique. Ce n’est donc pas un hasard si Jérémie Huchet s’est associé il y a peu avec un ami vigneron (et négociant) du même prénom, le très entreprenant Vendéen Jérémie Mourat  dans le but de sélectionner des vignes et d’élaborer des cuvées spécifiques mettant en avant les caractères des grands terroirs du Muscadet sous le nom générique « Les Bêtes Curieuses ». Quand on connaît les deux gars, c’est un nom qui leur qui leur va comme un gant ! Il leur est apparu comme ça, à force d’être pris tous les deux pour des cinglés. Je l’ai déjà dit quelque part, j’aime les vignerons quand ils ne se laissent pas abattre par la morosité ambiante, surtout quand elle frappe aussi durement le Muscadet. Nés la même année (1977), les deux Jérémie sont de ceux-là qui s’organisent en achetant des parcelles abordables, quand elles ne sont pas déjà dans le portefeuille de La Chauvinière, afin de montrer aux sceptiques de tous poils que le Muscadet n’est pas qu’un vin d’huîtres que l’on touche en grandes surfaces à des prix indignes défiants toute concurrence ne dépassant guère les 3 €. Par ailleurs, ces deux gars ont voyagé, l’un en Australie où il a failli rester si ce n’était son amour pour le vignoble familial et sa passion pour le Melon de Bourgogne, l’autre en Afrique du Sud où il expérimente un vignoble de Chenin, un cépage qu’il a dans la peau.

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Une nouvelle collection terroiriste en Muscadet. Photo©MichelSmith

Toutes leurs «» ont été élevées longuement « à la nantaise », c’est-à-dire sur leurs lies, sans bâtonnages, en cuves souterraines avant d’être mises en bouteilles à la propriété sans collage ni filtration. Par respect pour la terre, les sols sont travaillés au labour, sans désherbants ni engrais chimiques en privilégiant les traitements à base de plantes et de minéraux. Chose plutôt rare en Muscadet, les vendanges sont manuelles. Là encore, une même recette pour un même objectif : montrer le terroir dans ce qu’il a de plus noble, de plus évident, mettre en lumière ce qu’il a de plus palpable, de plus réaliste. Par chance, j’ai pu goûter (en exclusivité mondiale, s’il vous plaît !) à température ambiante (16°) et sans ordre précis cinq des premiers vins mis en bouteilles (fin 2012) par les « Bêtes Curieuses ». Le prix public de ces « crus », hormis le 2004, est étonnement bas : autour de 12 €.  Notez que le Muscadet compte pour l’instant 7 crus dont la démarche est encouragée par l’INAO avecl’appui technique de Romain Mayet, ingénieur rattaché à l’ODG Muscadet, en charge des crus communaux. Voici ce que Parker Smith en pense…

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Le clocher de Château-Thébaud et les vignes de La Chauvinière. Photo©MichelSmith

Château-Thébaud 2006 (terroir argilo graveleux sur granite assurant un bon drainage naturel). Robe d’un joli blond à peine foncé. Le nez est tendre, mais discret, doux comme un agneau, cachant à l’agitation quelques touches marines évoquant le grand large. Bouche ronde et solaire avec une fraîcheur toute minérale qui apparaît en filigrane. Le vin s’exprime sans hâte, sans excès, sans fanfaronnade, presque du genre : « Vous permettez que je me glisse parmi vous » ? S’en suit un grésillement de saveurs diffuses, entre soufre (le vin est très peu soufré) épices et sels minéraux sur un fond de fruit évoquant la mirabelle et la poire louise bonne. Laissons le vin passer encore un minimum de 5 ans en cave pour unir cet édifice qui évoque une église romane.

Goulaine 2009 (terroir de schistes et de gneiss sur un versant de la Goulaine, petite rivière qui se jette dans la Loire avant d’irriguer le marais du même nom). Plutôt aérien au nez, on perçoit une certaine tendresse et d’heureux effluves de fruits blancs bien mûrs. On se croirait presque dans un jardin de curé ! En réalité, cette tendresse apparente cache une bête. Je n’ai pas dit un monstre. La puissance du millésime se fait sentir et l’on assiste à une sorte de danse du feu savamment orchestrée par une trame minérale assez profonde qui structure l’ensemble. Là aussi, on peut attendre. Pourtant, j’aimerais bien l’essayer vers 2015/16 sur une pintade aux choux ou des poissons fumés car le vin trépigne d’impatience…

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Les cinq premières « Bêtes Curieuses ». Photo©MichelSmith

Clisson 2010 (sols sablonneux sur socle de granite, au cœur de la butte de La Templerie). Assez fermé, pour ne pas dire hermétique, le nez est très légèrement beurré. L’attaque est riche, la trame serrée, voire granuleuse avec une sensation de s’enfoncer progressivement dans la roche. La finale est salivante au possible, on la devine aussi lumineuse. L’ensemble est assez long en bouche, mais sans excès. Il ne reste plus qu’à attendre 5 ou 6 ans et de prévoir un veau fermier servi avec une crème aux petits champignons des prés.

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Granite de Clisson (gris). Photo©MichelSmith

Gorges 2009 (argiles bleues sur gabbro, le sol est tardif). Nez parfaitement sur la réserve, on sent de la finesse et l’on se prépare pour un long voyage souterrain, façon Jules Verne. Cela tombe bien puisqu’il est né à Nantes… En bouche, on a des instants étincelants comme pour mieux indiquer le chemin à suivre. La matière est ferme et c’est elle qui nous guide tel un fil d’Ariane vers une multitude de niches où se cachent des agrumes confits plus ou moins amers. C’est très long, mais on ne s’ennuie pas le moins du monde. Je suis tenté par un havane, sauf qu’il me faudra attendre 10 ans !

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Pierre de Gabbro. Photo©DR

Gorges 2004 (même terroir de gabbro). Blondeur à peine accentuée par l’âge. Le nez a du mal à se réveiller, mais après aération dans le verre on a du salin, de la fumée, des épices douces… Le gras est évident en bouche, avec toujours cette impression de voyage souterrain décrite plus haut. Puis on s’installe dans la précision, appuyée par une fraîcheur qui exerce encore son charme nous laissant avec cette impression que le vin peut encore survivre à une décennie supplémentaire. La matière est bien là, encore riche et parfumée d’agrumes. Et c’est évidemment très long. On chavire pour une terrine de poisson ou un pâté de gibier, ou encore un homard. Breton, évidemment !

Pour finir, je ne peux m’empêcher d’ajouter mes commentaires concernant cinq vins de Jérémie Huchet qui m’ont « espantés » comme on dit chez moi.

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Le Château des Montys avec le coeur du clos. Photo©MichelSmith

Clos des Montys 2010 (parcelle de un hectare de vignes plantées en 1914 au cœur du vignoble du Château des Montys, sur les hauts de Goulaine : cailloux en superficie sur de l’amphibolite et gabbro). Le nez est réservé, comme enfoui, même si l’on sent quelques touches pierreuses et des notes de fer rouillé à l’aération. Pas encore prêt en bouche où l’on a un côté presque métallique sur de fines notes épicées. Le vin a un aspect minéral fort prononcé arrondi par quelques notes crémeuses. Très long en bouche, il est loin d’être prêt à boire. Tiré à 4.000 bouteilles, c’est l’un des plus élevés en prix : 8,30 € départ.

Clos des Montys 2005. La robe est encore très claire et le vin est complètement fermé au nez, la bouche aussi d’ailleurs tant et si bien qu’il eût fallu le carafer… On ressent de la puissance, mais tout cela est retenu. On a une matière abondante avec de la densité, du mordant, une bonne structure et ce qu’il faut de longueur pour affronter les ans. Compter sur encore dix années de garde. Plus en vente.

L’Inattendu du Château de La Bretesche 2011 (sur une vaste butte de la commune de Maisdon, le sol est sableux composé de gneiss à deux micas. Les vignes ont 45 ans d’âge en moyenne). Joli nez très fin, élégant, salin et délicat. Bouche explosive, généreuse mais précise, pleine de revendications minérales, on se croirait pris dans un magma sauf qu’au lieu d’être brûlant le vin est d’une fraîcheur exquise. De nouveau, c’est l’élégance qui vient souligner la finale appuyée par une belle longueur. Seulement 5,10 € départ cave.

Château de La Templerie 2011 (sols légers qui se réchauffent vite, très drainants aussi, composés de sables grossiers jusqu’à la roche grise de granite de Clisson). Nez fin, délicat. Matière riche en bouche, très ferme, serrée, sur un fond compact de roche mêlée de terre fraîche, argileuse, humide et collante. C’est long, très long, ténu, solide comme le granite qui semble habiter ce vin et il faudra l’attendre au-delà de 2020 afin que la fraîcheur sous-jacente prenne pleinement le dessus. Prix : 5,10 €… seulement.

Granite de Château-Thébaud 2002 (terres assez meubles composées de pierres ocres qui se brisent dans tous les sens sur fond de granite métamorphosé). Robe d’une blondeur toute lumineuse. Nez délicat de fleurs des champs avec des touches minérales. Magnifique de fraîcheur en bouche où le vin semble scintiller de mille feux. On sent qu’il faudrait presque l’écouter tant il paraît harmonieux. La structure est dense, profonde, épicée, très portée sur le minéral, conduisant vers des notes de pain d’épices. Très grande longueur. Plus en vente, il reste un superbe 2007 à 8,50 €.

Michel Smith

6 réflexions sur “De Pouilly au Muscadet, une rapide revue de Terroirs

  1. Michel, je n’ai jamais dit que le terroir n’influe pas sur le goût d’un vin. J’ai dit, d’une part, qu’il ne faut pas réduire le concept de terroir à la nature chimique des sols, et, d’autre part, que j’attends encore des preuves que celle-ci peut avoir une influence significative sur le goût d’un vin. Il y a tellement d’autres facteurs dans le terroir, en dessous et au-dessus de la ligne du sol. Par exemple, la podologie, avec toutes ses variantes en gestion de l’eau, me semble être un ingrédient essentiel. Merci de ne pas caricaturer mes propos

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    1. Pardon si j’ai mal lu et mal interprété. Je vais donc relire et tenter de comprendre la nature chimique des sols. Pour notre bonne entente future, j’ai d’ores et déjà modifié « l’attaque » de mon article (les premières lignes) afin d’exposer une partie de tes observations. Puisque je donne le lien vers ton article de lundi, j’espère aussi que nos Lecteurs le reliront avec plus de sérieux que moi pour se faire une juste opinion.

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  2. Irène

    Le Truc, c’est que la composition minéralogique/chimique des sols est indissociable de sa gestion de l’eau, de sa restitution de la chaleur, de son tassement, même de sa réfraction de la lumière… càd des propriétés physiques du sol. Pour m’exprimer de façon caricaturale, on peut imaginer qu’un même cépage sous un climat très pluvieux en septembre octobre va donner un goût très différent en fonction de la nature du sol, selon que celui ci est drainant ou pas. Soit dit en passant, la nature du sol est aussi liée au relief, et a donc des corrélations avec le climat, la pluviométrie, l’ensoleillement, le vent, mais bien entendu pas de façon identique en fonction de l’origine des sols (techtonique pure = Pic Saint Loup, érosion (Chateau9)…). Avez vous lu le livre de Jean-Claude Bousquet sur les terroirs ?

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  3. Ping : Jusqu’au Réveillon : Blanc de noirs vendéen et Muscadet primeur à gogo ! | Les 5 du Vin

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