Un riesling ? Mais comment le savoir avec celui-là ?

Je poursuis la petite série épisodique que nous consacrons, les uns et les autres, au riesling, ce grand cépage que nous admirons tant.

Pour avancer sur ce chemin, l’autre jour, j’ouvre la porte de la cave d’appartement qui trône dans ma cuisine et j’attrape une bouteille ayant la forme appropriée. Je crois l’avoir reçu du Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace, mais je n’en suis plus très sur. En tout cas l’objet se présente bien, avec une étiquette très élégante, beau papier et graphisme soigné. Puis je regarde le nom du producteur: Marcel Deiss. Très bonne réputation, vins de grande qualité, certes un peu chers et parfois imprévisibles au niveau des sucres résiduels non-mentionnés (ce producteur n’inclut pas d’échelle de sucre sur son contre-étiquette, comme d’autre bons producteurs le font), ce qui rend l’usage de ses vins un peu compliqués en cas d’improvisation. Puis je cherche le nom du cépage, mais en vain: il n’en porte pas (voir la photo). J’y vais quand même, car j’ai dégusté des grands rieslings de ce producteur et je suis de nature optimiste.

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Le vin était très bon. je l’ai dégusté, parfois seul, parfois accompagné, en trois séances différentes. Il avait l’intensité d’un grand riesling mais avec un arrondi plus tendre que d’habitude. Cela n’était pas uniquement dû, je crois, à un sucre résiduel qui devait tourner autour de 10 grammes. Je pensais en le dégustant que ce vin contenait aussi du pinot blanc et peut-être du sylvaner mais je n’en sais rien du tout car le producteur ne daigne mentionner aucun cépage sur un contre-étiquette qui, outre ce « détail », est plutôt loquace. Jugez pour vous-même, car je vous le reproduit en entier, après la photo :

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Domaine Marcel Deiss, Alsace, Langenburg 2012

« Vin aromatique, élégant et curieusement salé

Comme un mur vertigineux face au sud, structuré par des murets répartis sur toute l’altitude du coteau, murets qui peinent à retenir un granit gris, fatigué par l’érosion et presque moulu: ce terroir exprime la lutte de la roche et du climat, le travail opiniâtre de ceux qui remontent la terre, l’enracinement profond d’une vigne complexe, ou comment dans une bouteille cohabitent la salinité des granits, l’onctuosité solaire et l’accomplissement d’un travail de paysan toujours recommencé. »

Bon, c’est assez poétique, parfois factuel, parfois fantaisiste, tendance « la vérité est dans la terre » mais cela ne me dit rien sur l’encépagement de ce vignoble. Je vais donc sur le site web de Deiss et j’y trouve ceci :

« Terroir de Saint Hippolyte, en forte pente, aménagé de terrasses historiques, face au Sud et constitué de granite très dégradé, pauvre et maigre ; vigne complexe, réunissant les cépages les plus précoces et le Riesling dans une symphonie salée. »

Que déduire de tout cela, outre ma (très petite) satisfaction d’avoir identifié la présence du riesling ?

1). Que ce producteur aime le sel et en trouve partout, paraît-il. Personnellement le vin en question me paraissait tendre et très légèrement sucré, avec une bonne acidité qui ne se cachait qu’à moitié, mais pas du tout salé.

2). Qu’il n’est pas très cohérent dans sa communication car il mentionne un seul cépage, le riesling, dans un court texte sur son site web, mais aucun cépage dans un texte bien plus long sur le flacon lui-même.

3). Qu’il n’aime pas beaucoup parler de cépages, pourtant bien mis en avant dans la quasi-totalité des vins d’Alsace qui est son lieu de résidence et de travail. Il préfère broder de la poésie autour de la topographie et de la nature des sols. Pourquoi pas, mais est-ce suffisant ?

4). Qu’il aime des références historiques et (un peu, beaucoup ?) Barrèsiennes.

Mais l’essentiel est peut-être ailleurs. D’abord  le vin est très bon. Il allie vivacité et tendresse dans un style élégant, fin et savoureux. C’est un vin qui a du style et du caractère. Je me moque un peu des descriptions de son lieu d’origine sur une contre-étiquette qui ferait mieux de donner des informations plus utiles au l’acheteur potentiel ; cépages, sucre résiduel etc. A la place, ce producteur verse dans le genre de snobisme obtus qui déclare, en substance (et ce n’est que ma version) que « la vérité est dans le terroir et si vous n’êtes pas capable de comprendre tout la complexité de cette affaire, vous n’avez qu’à passer votre chemin; nous n’allons certainement pas vous faciliter la tâche car nous sommes au-dessus de cela ».

Faut pas s’étonner alors que les vins tranquilles français perdent des parts de marché chaque année à l’export. Il ne savent pas bien se vendre, même quand ils sont bons ! Mais je ne nie nullement la qualité de ce vin ni de son emballage à la hauteur. Et, puisque j’aime le riesling et que je pense que d’autres partagent mon goût, pourquoi diable ne pas dire qu’il y en a ?

David Cobbold

PS. Au moment ou vous lirez ces lignes, je serai au salon Prowein ou j’espère déguster quelques autres beaux rieslings qui n’auront pas honte de déclarer leur identité.

10 réflexions sur “Un riesling ? Mais comment le savoir avec celui-là ?

  1. De nombreux Riesling à découvrir au Salon Prowein… nous vous accueillerons avec plaisir sur notre stand Hall 12 / B04 pour en déguster et débattre sur ce cépage formidable… Au plaisir, Etienne-Arnaud DOPFF, Domaine DOPFF Au Moulin…

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  2. georgestruc

    David, l’exploration du site de la maison Deiss, permet de déceler, en bas de texte, ce qui concerne les cépages du Langenberg que vous avez commenté :  » encépagement : complantation de Riesling, Pinot Gris, Pinot Beurot, Muscat, Pinot Noir ». Je vous souhaite de belles découvertes à Prowein !!

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  3. patrick axelroud

    Pour les avoir goutés ( alsacien oblige ) force est de reconnaître que les vins de DEISS sont de qualité. Mais pour moi il ne fait qu’accessoirement du vin d’Alsace; il fait essentiellement du DEISS et ce n’est pas ma tasse de thé quand on connait les autres vignerons tel OSTERTAG par exemple. Je partage entièrement l’analyse du bonhomme et le qualificatif obtus lui va comme un gant pour l’avoir plusieurs fois entendu parler de sa façon de voir et de faire. Je vis donc en bonne indifférence avec ce personnage clivant et je n’ai pas besoin de passer mon chemin comme il nous y invite car il faut des articles comme celui ci pour me souvenir qu’il existe.

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  4. Je laisserai de côté la personnalité de M. Deiss, effectivement clivante, pour revenir au problème des mentions.
    J’ai remonté dernièrement deux très bonnes bouteilles de ma cave – la cuvée les Gâts de Patrick Beaudoin, un Anjou Blanc. Et puis le Clos du Rocher, un grand cru suisse d’Yvorne.
    Sur aucun des deux, ni sur l’étiquette, ni sur la contre, il n’est fait mention du cépage. Et pourtant, il s’agit dans les deux cas de mono-cépages.
    Ca ne me gêne en rien.
    David, tu sembles vouloir dire que le cépage est une indication incontournable pour le consommateur. Je m’inscris en faux. Elle peut même l’induire en erreur. Qu’il y a-t-il vraiment de commun entre un chenin sud africain et un chenin de Loire? Entre un pinot gris d’Alsace et un pinot grigio de Sant’Antimo? Entre un sauvignon de Leyda et un sauvignon de Rapel, qu’on assemble dans une même cuvée au Chili? Entre un riesling sec et un riesling doux, comme tu l’évoques…
    La mention du cépage sur les bouteilles d’Alsace est une exception historique, en France. Deiss, lui, préfère mettre en avant ses crus, ce qui est d’ailleurs un retour à une tradition plus ancienne, qu’on trouve aussi à Vienne sous le nom de Gemischtersatz – avec nom de cru.
    Les deux manières peuvent très bien cohabiter et le consommateur peut aussi réfléchir et s’informer avant d’acheter – mieux, demander conseil. Le vin, ce n’est pas que la grande distribution où c’est l’étiquette qui vend.

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  5. il semble que l’AOC Alsace n’autorise pas de mentionner plusieurs cépages dans l’étiquetage. Il parait que cette question fait actuellement débat à la répression des fraudes

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  6. mauss

    S’il est vrai que plus d’un amateur a besoin de savoir quel assemblage – le cas échéant – a constitué le vin, c’est loin, très loin d’être une majorité. Et la politique « terroir » du Jean-Michel Deiss est toujours l’objet de discussions sinon de réprobation au niveau local. Et à lire le commentaire de David, je pencherai plutôt pour un taux de SR bien supérieur à 10g !
    Ceci dit, si l’homme est « clivant », ne jamais oublier qu’il fait bouger les choses ne serait-ce que par sa création de l’Université des Grands vins qui donne aux locaux une ouverture vers d’autres régions viti-vinicoles. Rien que pour cela, il mérite un certain respect.
    A Prowein, – certainement un monde fou – essaie d’aller dire bonjour à Ernst Loosen et au fiston Dönnhoff. Les rieslings allemands sont tellement différents de ceux de leurs voisins alasaciens !
    Tu nous diras tout, hein !

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  7. Pour ma modeste personne, ce qui fait le plus défaut sur la contre-étiquette, (et pas seulement en Alsace… ) c’est de n’avoir aucune idée du taux de sucre résiduel avant d’ouvrir une bouteille, car même, si bien sûr, l’équilibre avec la fraicheur importe, j’ai quelque fois l’impression de choisir un flacon « à l’aveugle » !

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  8. Oui Christian, le moindre des choses serait de mentionner le profil du vin du sec au sucré, en utilisant l’échelle de sucrosité que d’autres, dont Zind Humbrecht, emploient en Alsace.
    Hervé je ne suis pas d’accord avec toi. Je n’ai jamais dit que tous les vins d’un cépage se ressemblaient mais il il y a souvent un air de famille, voire plus et c’est un indice utile pour le consommateur. Je ne vois aucune bonne raison (sauf le mépris du consommateur) pour ne pas le mettre sur une étiquette ou, au pire, une contre-étiquette.
    Je vous quitte pour aller déguster quelques riesling d’Allemagne et d’ailleurs.
    Désolé pour la France hier. Good game pour la semaine prochaine !

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    1. David, l’échelle des sucres est relativement aléatoire, tout dépend de l’acidité, à même taux de sucre, le vin peut paraître moelleux ou à peine tendre. C’est une bonne idée, mais c’est pas efficace, même chose pour les abeilles en Suisse.
      Marco

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    2. Bonjour David,

      cette vieille querelle du cépage et du terroir, est-il possible de l’analyser, ne serait-ce que poétiquement, au regard des 2 traditions viniques qui certes se rejoignent et se superposent en Alsace, sans doute déjà en des temps plus reculés que les derniers conflits mondiaux :

      vins des Celtes, qui ont peut-être promené des vignes le long du Danube et du Rhin,(une des voie que confirme la lecture géographique des cartes génétiques de la vigne), vins de « nomades ? », qui laissent le nom aux raisins qu’ils transportent dans leur « bagages », attestés en Suisse, en Autriche, en Allemagne, de 500 à 100 ans avant JC, le tout juste de l’autre côté du Rhin

      vins des Romains, plus colons, pour qui le nom du lieu, traduit une » propriété ? », un espace conquis

      malheureusement l’Alsace d’aujourd’hui n’a ni crédits ni volonté pour revendiquer sa voie propre, sans doute riches des 2 traditions
      En France, nos ancêtres les Romains nous feraient-ils oublier le tonneau des Gaulois ?

      Bonnes dégustations de rieslings de terroirs alsaciens !
      A signaler plusieurs ouvrages de Bernard Normand(sic), qui a analysé les échanges entre les cultures celtiques et romaines notamment en Alsace.

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