Voyage à Cahors (2): Du Noir au Rouge

J’aurais voulu vous dire que «la nouvelle génération donne un coup de jeune à Cahors» mais ce n’est pas possible. Hormis l’usage honteux de lieux communs… Ce ne serait tout simplement pas vrai.

Le changement profond qui bouleverse le style du vin de Cahors n’est pas générationnel. En discutant avec les vignerons et d’autres professionnels, on a plutôt l’impression que c’est une quête permanente pour la qualité qui a mené cette évolution collective. L’œnologue Erik Filipiak, qui a travaillé 25 ans (de septembre 1987 à août 2012) pour le syndicat de l’appellation avant de se mettre à son compte, nous donne quelques pistes pour faire un historique des grandes étapes, je complète avec la documentation du syndicat.

Le début pourrait se situer en 1531 alors que François 1er importe le vin de Cahors à la Cour, signe suprême de reconnaissance qu’on pourrait comparer aujourd’hui à un 100/100 sur le Guide Parker, la Une de la RVF… ou une semaine d’articles sur Les5duVin.

 

Quelques siècles plus tard, dans son Ampélographie Française (1852), le fameux Victor Rendu, déjà souvent évoqué ici, parle de Cahors comme d’un « cru distingué » de 24.000 hectares, principalement du rouge, mais pas uniquement. 

Le cépage phare de la zone, en rouge, est déjà l’auxerrois – l’auxerrois à côtes rouges, pour être précis – car il cotoie un auxerrois à côtes vertes, plus productif mais moins qualitatif, selon Rendu).  

Le vignoble va se développer sur ses lauriers jusqu’à l’arrivée du phylloxéra en 1870. On dénombre alors 40.000 ha de vignes.

Totalement détruit, le vignoble sera grandement remplacé par les cultures fruitières ou céréalières, ou encore le tabac ou le pastoralisme.

1873, année du phylloxéra. Photo (c) Alain Auzanneau pour les vins de Cahors

Début XXème, les vignes reviennent dans les terres riches et faciles à travailler avec, le plus souvent, des plants hybrides résistants au phylloxéra. «Les hybrides producteurs directs comme l’othello, le jacquez, l’herbemont ou le clinton. Ils sont assez peu chers, mais produisent un vin au goût très spécial, herbacé voire foxé. Les seibel, couderc et autres baco noir et baco blanc, allient la résistance au phylloxéra à la production de raisins au jus plus proche du goût recherché» (doc Cahors).

Les coteaux et les causses arides sont abandonnés. La ruine pousse les vignerons à l’exode vers la ville et ses grands chantiers mais aussi vers l’Amérique du Sud dont l’Argentine (l’autre terre du Malbec !!).

Photo (c) Jérôme Morel pour Les vins de Cahors

Deuxième coup dur avec la Grande guerre. Les hommes sont envoyés mourir loin de leur terre et les femmes n’ont pas la clé des caves. Il se raconte qu’elles ont tenu un intérim très honorable dans d’autres régions, mais elles n’auraient pas eu cette occasion à Cahors.

Entre 1876 et 1931, on estime que la population des Causses diminue de 60%, celle du Quercy blanc de 50%, celle de l’arrondissement de Cahors de 40% et des vallées d’un tiers environ. La population qui reste est vieillissante. Pendant cette déshérence, certains hommes s’acharnent à sauvegarder les cépages d’origine à coup de greffe et de greffon. J’ai vu passer le nom de la famille Jouffreau ou les Baldès qui ont encore des pieds de vigne centenaires.

Vigne centenaire au Clos Triguedina

En février 1956, un froid sibérien gèle les plantations. Ce sera une opportunité pour renouveler le vignoble avec de nouvelles sélections issues de la magdeleine noire et du prunelard, le Cot, alias Malbec ou Auxerrois. Le décret de l’AOVDQS évolue sur les conditions de production limitées à 45hl/ha et, en 1966, avec le retrait des cépages blancs, de la dame noire, du valdiguié et du gamay du Lot pour l’introduction du merlot, de l’abouriou, du tannat et de la syrah dans les 30% complémentaires de l’auxerrois.
Il faudra attendre près d’un siècle pour voir renaître le vignoble avec la création de la coopérative Côte d’Olt en 1947 et l’accession au statut de VDQS (Vin délimité de qualité supérieure) en 1951, sas obligatoire avant la reconnaissance en AOC en 1971.

Le cahier des charges de l’appellation Cahors indique depuis 2011 : Cot supérieur ou égal à 70 % en encépagement comme à l’assemblage, cépages accessoires merlot et tannat.
Sur le vignoble le merlot diminue, environ 15% des surfaces aujourd’hui petit à petit remplacé par le cot. « La grande majorité des cuvées est 100% cot », dixit le syndicat.

Ancienne communication sur fond Noir

Nous avons fait appel aux vignerons pour pouvoir déguster des vieux millésimes. Il se trouve que ce sont surtout les domaines historiques qui ont répondu. Ils sont donc bien représentatifs de l’appellation sur ces 30 dernières années. Cette première dégustation décrit les domaines où l’on note un vrai changement entre 2000 et 2020, une série baptisée «du Noir au Rouge» pour symboliser cette évolution des vins puissants, fortement colorés, souvent très boisés, qui correspondaient aussi à la communication du vin noir de Cahors et qui ont évolué vers plus de nuances, plus de finesse, plus de fraîcheur et parfois moins de couleur. Vous pourrez également apprécier l’évolution du packaging sur les photos.

Château Haut Monplaisir, Pur Plaisir, Cahors 2002, 2012, 2018
Peu de différence de teinte entre 2002 et 2012, un soupçon de brun dans le plus vieux. 2018 est pourpre profond et violine, plus dense.
2002, timide mais petits fruits à l’ouverture puis viennent les notes de l’âge en déclinaison de grillé et de fumé avec toujours un fond de fruit.
2012, très chocolat blanc avec des framboises et une pointe de piment d’Espelette. Plus de rondeur en bouche, des tanins feutrés, fondants et encore bien charnus. Bon équilibre entre fruit et épices, avec de la longueur tactile et de beaux amers.
2018, un végétal aromatique comme un soupçon de feuilles de cassis puis du fruit frais un peu poire et cerise. La bouche est très tendue, les tanins très fins et fringants, une touche saline. Le vin n’est pas posé, encore dans une énergie de jeunesse. Peut bien attendre.

Plus de précision, plus de minéralité, moins de bois plus de fruit.
http://chateauhautmonplaisir.com

Château Nozières, Élégance, Cahors 2008, 2015, 2018
La robe du 2015 semble plus légère avec moins de densité et un gros écart avec le pourpre profond du 2018.
2008 a tout du papet fringant. Les notes sont grillées et fumées avec un fond minéral presque naphte. Pareil en bouche, porté par des tanins encore bien présents mais fondus.
2015 a le fruit caramélisé, avec des épices douces. Friandises. La bouche gagne la fraicheur minérale et une texture fine et tendue. Joli équilibre.
2018, très intense le fruit rouge est frais, entre prune et cassis, des notes de myrtille. Un minéral camphré, avec un soupçon de goudron après la pluie. Très attirant dans la fraicheur. Savoureux en bouche, il y a de l’abondance dans ce vin mais avec finesse, les tanins sont jeunes et prêts à se fondre avec la bonne chère.

Un vin fidèle à la tradition mais avec un profil moderne.
www.chateaunozieres.com

Château de Cénac, Prestige, Cahors 2000, 2010, 2018
Peu de perte de rouge mais reflets bruns sur le 2000.
L’intensité aromatique va en augmentant pour la jeunesse.
Presque timide à 22 ans avec des notes giboyeuses de truffe et la fraicheur d’une terre mouillée. Puis se mêlent les épices aux notes viandées, vanille, cannelle, des notes de jus d’orange et de cacao. La bouche à la fraicheur d’une pinède avec des notes de cyprès. Plus de douceur pour le 2010 mais des tanins bien présents et toujours fins. Un air de cyprès toujours.
Un univers très différent pour le 2018, la violette domine avec le cassis confit, des notes de noix de cyprès, et la fraîcheur du cacao au piment d’Espelette. On croit rêver de syrah, les tanins sont plus serrés, toujours aussi fins, savoureux, cacao, avec une note chicorée en final.

Quand le cot se confond avec la syrah, c’est savoureux
www.vignoblespelvillain.com

Château Quattre, Les Carrals, Cahors 2009, 2016
Les robes brillantes sont sombres et se ressemblent, encore du violet dans le plus vieux et peu dans le plus jeune.
2009, est très minéral, avec des notes de naphte, du raisin de Corinthe et du pruneau, c’est très mûr. Le fruit est en bouche, fondant et savoureux, toujours minéral et plein. Des tanins serrés et fins. Très bon.
2016 est gourmand au nez, avec du chocolat noir aux cerises, du caramel brun et du pruneau à l’eau-de-vie, quelques notes fumées. La bouche surprend par sa fraicheur légèrement acidulée comme un fruit frais, avec une souplesse toute saline. Les tanins sont en retrait mais bien présents. De l’élégance.

https://www.vignoblesdeterroirs.com/les-carrals-du-chateau-quattre/

Clos Troteligotte, K-or, Cahors 2001, 2011, 2020
Robe sensiblement plus légère, avec du brun pour le 2001. Tire vers le violine pour le plus jeune.
2001, café, tabac, pruneau caramélisé, tourbe, un joli bouquet au début du rancio. Plus grillé en bouche, il a perdu de sa superbe.
2011 est sur le fruit compoté, fraise, groseille et prune, avec du chocolat et un soupçon de truffe. Minéral en bouche, avec des tanins encore bien fringants sur une texture feutrée. C’est riche et frais. Un soupçon grillé au final.
2020 est plus camphré, minéral avec du cassis qui accompagne le caillou et la pinède. La bouche est vive, un fruité acidulé qui durcit un peu au final. Pas de sulfite avant la bouteille, légèrement gazeux, on change de registre.

Un des domaines historiques qui accueille la nouvelle génération. Le clos Troteligotte fait de nombreuses cuvées, celle-ci est un cœur de gamme, avec un élevage en cuve béton pour préserver le terroir et une vinification douce d’accompagnement.

www.clostroteligotte.com

Château de Chambert, Orphée, Cahors 2001, 2005, 2018
2001 du brun dans le rouge et la robe est un peu floue. 2005 parfaitement brillant. 2018 pas exactement limpide. Une histoire de filtration peut-être. Le bouchon s’est cassé à l’ouverture et le vin n’est pas tout à fait net, assurément rancioté. Pourtant la bouche est encore vive, riche avec des tanins debout et veloutés. Il devait être un sacré champion au départ.
2005 est un peu timide et sur des notes florales, rose et verveine, suivent la fraise au sucre et le prune d’Ente, des notes de réglisse au caramel. Même histoire en bouche avec des tanins grenus et des notes minérales de graphite. Une matière fine et acidulée, probablement liée au millésime. Final dans la fraicheur.
2018 est d’abord séveux comme la pinède, avant de donner du petit fruit et des épices douces dans une liqueur de prune. La bouche est à la fois fraiche et gourmande, le fruit est délicat, le bois est fondu mais donne un ton grillé, les tanins sont serrés mais légers, une fraicheur minérale qui rappelle la terre mouillée. Plus fin mais tout aussi riche que le 2005.

Même si le Château Chambert a toujours fait des vins qui vieillissent très bien, on note le changement de propriétaire entre le 2005 et le 2018. Belle évolution qualitative en cave, à la vigne et sur le site du Château. Philippe Lejeune est passé du statut d’investisseur en 2007 à celui de vigneron accompli.

https://chambert.com/

Château Eugénie, Réserve de l’aïeul, Cahors 2004, 2019
Du violine au rouge brique, le plus jeune est plus limpide et brillant.
2004 hésite entre des notes giboyeuses, de la truffe et de la confiture de fraise, après aération c’est la truffe qui domine avec du fumé. Les tanins sont fondus et cotonneux, long final sur les fumés.
2019 propose un ensemble de petits fruits et de végétal aromatique, le laurier, la sauge et des notes d’angélique. La bouche est feutrée, les tanins crayeux, encore bien jeunes, mais dans un bel équilibre, des notes boisées et un soupçon salines adoucissent l’ensemble. Jeune et bon.

www.chateaueugenie.com

Château le Cèdre, Cahors 2000, 2009, 2012
Peu d’écart de rouge, le 2009 a une robe plus légère.
2000 un peu fermé, après aération, il donne du fruit compoté, de la réglisse, du tabac blond et des notes grillées, un début de bouquet. Il se poursuit en bouche avec une matière feutrée et des tanins crayeux. Le final revient sur la fraicheur de l’eucalyptus. Il a perdu un peu mais est toujours présent.
2009 a du fruit sec entre l’amande grillée et le gâteau aux noix, c’est plutôt bon, s’ajoute le pruneau, la réglisse et la sève de pin, (de cèdre ?). La bouche est savoureuse, les tanins bien présents, serrés et veloutés. Beaucoup de puissance charnue.
2012 est assez proche du 2009 avec sa ronde de fruits confits, secs et grillés, s’ajoutent des notes de cacao et de framboise. Si la bouche reste savoureuse, les tanins sont plus fins, plus soyeux, la puissance s’est calmée au profit de l’élégance.

C’est une même génération qui a mis en place ces changements dans un souci d’amélioration constante de la qualité et de la connaissance du terroir. On sent de plus en plus de précision dans les vins, plus de fruit et de minéralité. Avec un bon dans le monde des sans soufres, cité dans l’article précédent.

www.chateauducedre.com

La semaine prochaine, nous passerons en revue les Cahors des années 70 à 2020. Avec les domaines historiques et leurs cuvées classiques.

Nadine Franjus

(en photo un vieux bouchon de 2000 brisé à l’ouverture).

5 réflexions sur “Voyage à Cahors (2): Du Noir au Rouge

  1. Merci Nadine pour cet excellent article qui illustre bien les évolutions stylistiques que je constate également à Cahors. Comme tu le dis bien au début, l’affaire est plus complexe qu’un simple changement de générations : il y a aussi, entre autres, l’effet du marché et la concurrence des malbecs d’Argentine qui ont joué un rôle dans cette évolution. Au sujet des descripteurs, je persiste à ne rien comprendre au sens du terme « minéral » appliqué au vin : peut-être devrais-je me mettre à croquer des clous au petit-déjeuner pour mieux comprendre, ou s’agit-il d’un euphémisme pour de l’acidité ?

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  2. Nadine Franjus

    Merci David pour ton attention, je sais pour t’avoir lu régulièrement sur ce blog, que tu connais bien l’appellation.
    J’emploie le mot « minéral » comme un descripteur aromatique comme me l’a appris mon professeur de dégustation Pierre Casamayor. En l’occurence, ce sont les notes de mine de crayon, de pierre à fusil voire de pétrole (qu’il préfère nommer naphte). Je n’aborde pas le débat autour de la « fraicheur minérale » par l’équilibre en lien avec l’acidité mais plutôt une « fraicheur minérale » inspirée par ses odeurs. Même si, au bout du compte, c’est toujours une histoire de fraîcheur.

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