Où suis-je ? Quelque part en Languedoc, à portée de vue du causse, ou de la « montagne », entre Aude et Hérault, pas très loin du Canal du Midi et de ses platanes que l’on arrache. Je traverse l’Ognon pour pénétrer en un village réputé pour ses vins du Minervois, mais aussi connu pour son église romane et pour son pèlerinage à Notre-Dame-du-Spasme, un Vierge en défaillance… Je passe en catimini les murs défraîchis de la coopérative qui semble attendre sa dernière heure et je m’enfonce aussi discrètement que possible dans l’artère principale en prenant soin de ne pas être reconnu par quelque vigneron devenu « syraphile » malgré mes injonctions. Je débouche jusque sur les hauteurs de La Livinière, par le chemin de Calamiac, là où vit un certain Benji aussi connu sous le nom de Benjamin Darnault, en compagnie de son épouse, Kat, venue d’Adélaïde (Australia) et de leur fille dont le prénom m’échappe ce dont je m’excuse auprès d’elle si elle me lit car elle a beaucoup de personnalité. Mrs Darnault n’a pas l’air de trouver sa vie difficile si j’en juge par son blog, plein de curiosités, de saveurs, d’humeurs et d’appréciations plutôt positives sur notre beau et étrange pays : comme on pouvait s’y attendre, la cuisine et le vin semblent compter parmi ses grandes passions.

Benji est le vigneron. Il travaille « à façon », ou au contrat, pour qui veut utiliser ses talents. C’est lui qui, par exemple, s’occupe des vignes et des vins de Château Maris, un domaine connu du Minervois entre les mains d’un Anglais et dont le Carignan a déjà été croqué plusieurs fois dans ces lignes. Benji doit bien aimer les Anglais car il se loue aussi à Naked Wines, une « communauté » d’acheteurs de vins typiquement britanniques, un caviste en ligne si vous préférez, spécialisé dans la vente de vins que l’on ne trouve que chez eux. J’ai connu Benji via Vincent Pousson qui s’invite régulièrement dans sa cuisine – où autre pourrait-il être ? – et c’est justement là que je les retrouve, dans le vieux mas assez joliment retapé par les Darnault.

Pas très loin de là se trouvent les vignes, dont de vieux carignans, qui abreuvent les élucubrations de Benji. Vincent, quant à lui, avait su m’interpeller dans son blog en évoquant, bien avant moi, un carignan d’enfer et d’intrigue étiqueté « Boulevard Napoléon ». « Tu n’as qu’à venir déjeuner dans la Petite Maison de la Prairie et tu le goûteras ! », m’avait-il dit par message perso sur Facebook.

Et c’est ainsi que je fus mis nez à nez avec cette série de vins « Boulevard Napoléon » – il y avait aussi un grenache gris, un grenache noir et un cabernet franc – commanditée par un fan du Languedoc-Roussillon, le Londonien Trevor Gulliver, et son associé restaurateur Fergus Henderson. Tous deux, en divers endroits de Londres, ont quelques adresses gourmandes dont un restaurant de cochon, le St John, où les vins Français et du Languedoc en particulier, sont bien représentés, Carignan compris. Plutôt rare dans un pays envahi par les vins du Nouveau Monde.

Pourquoi cette allusion à Napoléon ? Outre le clin d’œil à l’Histoire, l’explication est simple : la cave où est élaboré ce vin de Carignans du terroir de La Livinière se trouve au numéro 2 bis d’une rue aujourd’hui rebaptisée où subsiste une ancienne plaque de pierre sur laquelle sont gravés les deux mots « Boulevard Napoléon ». Les vignes, quant à elles, sont situées sur deux parcelles du secteur de l’Angely. Je le connais ce coin bien exposé et de relative altitude. Jadis, j’y allais voir un vigneron Belge, Guy Vanlancker (La Combe Blanche) qui sévit toujours et qui a monté son domaine à la force du poignet en favorisant pas mal la Syrah. L’Angely est aussi le nom d’un clos pour une cuvée du Domaine Piccinini, un important domaine de La Livinière.

Et comment il est ce Vin de Pays de l’Hérault 2011 qui affiche allègrement 14,5°, mais qui en fait probablement un poil plus ? D’abord, je trouve sa présentation à la fois sobre et élégante, on sent que le vigneron ne se fout pas de ma gueule. Comme tout bon Carignan, il a sa dose de mordant à l’attaque, il est résolument droit et vif, assez prenant aussi. Il faut l’attendre un peu car, à l’instar de beaucoup de 2011, on le sent un peu enfoui, pas vraiment prêt à se livrer dans l’immédiat. À mon avis, il va se réveiller pour de bon l’année prochaine, passé Pâques.

Vendu aux alentours de 16 £ sur le site de St John (voir plus haut) et 13 € départ cave en France (renseignements par mail : darnaultb@gmail.com), je l’ai goûté non sans plaisir sur un rare poulet fermier choisi et préparé par Vincent, lequel avait choisi comme accompagnement de succulentes carottes anciennes dénichées au marché d’un bourg voisin. Si vous pouviez reproduire le même mariage avec une pintade ou une canette, je suis certain que vous choisirez ce vin pour vos repas du Dimanche. Température cave (12°) plus que conseillée !

Michel Smith
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