À Barcelone, pour une piquouse au Jerez…

Marie-Louise Banyols nous a bien fait comprendre ces derniers temps l’importance que prenait le vermut dans les lieux où le vin est à l’honneur en Espagne, certes, en Catalogne et à Barcelone en particulier. Personnellement, je n’ai jamais été emballé par ces vins « arrangés » et mes amis savent à quel point mon goût est nettement plus porté vers la spontanéité et la fraîcheur du Fino, ce vin sec si moderne et si profondément andalou qu’il me file une claque en bouche, requinque mon cerveau et me donne l’irrésistible envie de revivre, de parler, de rire et de croquer langostinos, calamares, almejas, anchoas, olivas, almendras, tortillas, jamones ibéricos… que sais-je encore dans le vaste répertoire des gourmandises que l’on trouve dans tous les bons bars de Jerez de la Frontera, Sevilla, Cordoba, ou San Lucar de Barramedia, chez Bigote par exemple, ou même à Puerto de Santa Maria pas très loin de Cadiz.

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À Barcelona, comme en d’autres villes de Catalogne que je fréquente en voisin depuis 30 ans, les vins de Jerez, Manzanilla et Montilla-Moriles inclus, n’ont jamais été totalement absents du paysage vineux. Bien que le choix ait été limité, j’ai toujours pu m’en procurer sans trop de difficultés. Pourtant, je n’ai jamais senti une réelle frénésie autour de ces vins et j’ai plutôt essuyé quelques revers : mauvais service mêlé à un choix plutôt limité, à un désastreux manque de connaissance et à une attitude frisant la racisme anti-andalou. Or, les courants d’air passant plutôt bien dans les artères rectilignes de la grande catalane où les modes changent désormais aussi vite qu’à Londres ou Paris, il se pourrait bien que dans un jour très proche le Jerez et sa foison de vins spéciaux fassent des ravages du côté des ramblas. Déjà, il y a deux ans, j’avais découvert sur le tard un filon de taille (une trentaine de références) lors d’une halte avec mon copain Bruno à Palafrugell, chez Grau, un grand magasin dédié aux vins, liqueurs et alcools qui a déclenché chez moi une série d’articles pas mal controversés ici même. Si vous êtes curieux, vous retrouverez les trois papiers sous le titre El Rey Fino.

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Lors de mes finoseries habituelles, j’avais aussi commis un ou deux articles sur Monvinic, un bar chic où officie l’une des meilleures sommelières d’Espagne, la poitevine Isabelle Brunet. Lors d’un séjour à Londres idem, où les bars à finos semblent gagner du terrain. Et à Paris ? Que dalle… du moins à ma connaissance. Voilà donc que depuis quelques années on constate que les branchés du vin s’ouvrent timidement mais sûrement au Jerez et que des explorateurs fous de caves andalouses, tels ceux de l’Equipo Navazos dénichent de vraies pépites qu’ils mettent en bouteilles afin de nous faire partager leur passion.

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Je vais commencer – il était temps ! – par le commencement : ma rencontre avec le premier lieu vanté par Vincent. Il vient d’ouvrir à deux pas de la trépidante Diagonal, à hauteur d’un gigantesque rond-point qu’est la Plaça Francesc Macia. Il s’agit d’une cave à l’allure et au nom modestes, El Petit Celler, précédée d’un bar assez discret et sans prétention comme il y en a tant dans cette ville, un lieu idéal pour servir de refuge à quelques employés du quartier venus discuter d’une affaire entre deux coups de fil et une pause cigarette. Vous verrez, on y arrive facilement en remontant le trottoir de droite de la courte mais assez large carrer Beethoven.

WP_20160406_012Après un vrai Illy caffe servi ristretto dans les règles de l’art et bu à la va-vite au bout du comptoir, faîtes comme moi en filant droit vers le fond de la boutique. C’est là que vous attendent quelques 260 références andalouses qui font de cette petite cave probablement la plus grande au monde, en tout cas la plus fournie en fioles de Jerez et autres Montilla-Moriles. On reste coi face à la variété et à la rareté des vins qui sont exposées. Et pas que dans le créneau du fino ! Toujours avec en bouche le parfum de la douce amertume rôtie de mon café du matin (il est presque midi, mais il faut se mettre au rythme local…), tout en réclamant l’aide du patron, Sebastià Lozano, je mets la main sur une petite bouteille d’une marque qui m’était inconnue et dont le prix ne dépassait pas 20 euros. Je demande à l’avoir en terrasse dans un seau à glace. Une telle exigence ne choque nullement Sebastià qui ajoutera à ma demande une petite assiette de morceaux de jambon ibérico.

Accompagnant notre dégustation de quelques bouffées d’un excellent cigarillo cubain (il n’était pas l’heure du gros cigare), un petit Partagas, ma compagne et moi étions aux anges lorsque jaillit de la rue l’ombre (amincie) de notre ami Vincent. Ni une ni deux, sur le ton triomphal du « Goûtez-moi ça, vous allez voir que c’est autre chose ! », voilà qu’il nous fait servir un autre flacon, sa découverte du moment. Fier tel un hidalgo d’opérette, aussi à l’aise qu’un paysan gascon, il nous sert son trésor, son vin d’amour tout droit sorti d’une bouteille aux allures de fiole antique. Le vin est gras de matière, mais il est pourtant aussi solide que le mur d’enceinte de l’Alcazar de Jerez. Il file bien droit en bouche, imprimant dès le départ le style aiguisé et distingué d’un jeune cavalier en habit sorti tout droit de l’école équestre de la ville pour parader devant les belles qui se pressent sur le chemin des festivités de la Feria del Caballo.

Un équilibre fait d’élégance, de perfection, de finesse… bref, un fino parfaitement bien éduqué, pour employer un terme de spécialiste. Le nom de ce rarissime fino ? Urium. Il s’agit d’un fino issu de raisins biologiques élevés en solera sous la fleur et mis en bouteilles en rama, c’est-à-dire « tel quel », ou « tout cru », sans filtration, comme l’explique in english l’excellent blog Sherry Notes.

Au cœur de la vieille cité de Jerez, dirigée par un collectionneur de soleras Alonso Ruiz et sa fille, Rocio, la Bodega Urium est l’une des dernières petites maisons familiales jerezanas qui s’accroche à ses vieux murs et cultive son indépendance avec autant de sérieux qu’elle met de soin à élever ses vins. Et sous cette même signature, l’amateur trouvera une gamme de V.O.R.S. (Very Old Rare Sherry ou encore Vinum Optimum Rare Signatum) déclinée en Amontillado , Palo Cortado, Oloroso et Pedro Ximénez, garantissant des vins de plus de 30 ans !

Fier de sa trouvaille... Photo©MichelSmith
Heureux de sa trouvaille, Vincent sombre  un instant en pleine méditation.

Nous étions déjà bien gais en cette fin de matinée, grisés que nous étions par la fraîcheur et la qualité de la flor peut-être, alors que notre journée Jerez ne faisait que commencer. Il était temps de se laisser cueillir par un taxi jaune et noir pour notre prochaine étape encore plus folle que celle d’avant. Si vous êtes comme moi accro au fino, suivez-nous Jeudi prochain pour une mémorable virée à deux pas des fameuses Ramblas.

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!Adiós y hasta pronto¡

Michel Smith

©photos MichelSmith

PS Cet article est dédié à l’ami Étienne Hugel qui aurait pu nous accompagner dans cette virée …

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