Vigneronne, vigneronnage (2ème partie) : à Faugères, chez Catherine

Longue, trop longue, cette suite de l’épisode précédent (jeudi 5 de ce même mois) sur le désormais fameux vigneronnage : je me hâte par une chaude fin de journée de juillet vers les contreforts cévenols afin de retrouver une vigneronne amie et tout son petit monde.

Coup d’oeil sur Béziers avant le haut-pays. ©MichelSmith

Il suffisait que l’invitation me parvienne par les voies de l’Internet pour que je me fasse à cette idée soudaine, l’envoûtante perspective d’une virée échappatoire qui se profilait en ce plein été, un voyage court mais ô combien nécessaire lorsque l’on se morfond parfois dans les murs d’une chaude cité de l’arc méditerranéen. 

Garden party à Faugères ! ©MichelSmith

Ni une ni deux, voilà que je grimpe avec conviction les hautes marches de ce robuste et gros autocar gris griffé Mercedes me réjouissant à l’avance de pouvoir savourer la vue radieuse qui va défiler par la vitre : un flot presque constant de cyprès et d’oliviers, le long bras d’une mer de vignes qui s’incruste dans le moindre recoin d’un vallon perdu et va jusqu’à recouvrir les bosses arrondies du terrain d’abord calcaire, puis teinté d’argiles, puis enfin d’un schiste brun sombre évocateur de la châtaigne, reflets gris couleur mine de crayon aux arrêtes reluisantes.

Dans la lumière de cette étouffante fin de journée, ces roches me rassurent et je me dis que je suis dans la bonne direction, que je file en zigzag vers le haut-pays, trimballé de villages endormis (dont mes préférés : Puimisson et Puissalicon) en placettes désertes, de vicinales en départementales, de croix de chemins en chapelles isolées jusqu’à un “drive vigneron” (mais oui, ça existe !) et l’arrêt tant attendu : “Mairie de Faugères”. Une heure de slaloms entre lumières et ombres pour parcourir les 20 bornes qui me séparent de la bonne ville de Béziers jadis fière “capitale du vin”, aujourd’hui méprisée par la plupart des vignerons tant elle leur rappelle la vinasse du pépé. Ils lui préfèrent de loin Montpellier. Les temps changent.

Un flacon de Faugères©MichelSmith

Pour toucher au but du voyage, il faut faire quelques pas de plus sur l’artère principale, dite “Route de Béziers”, en allant vers l’orée du village jusqu’à un grand portail en fer à la peinture gris-blanche, derrière lequel se cache une maison bourgeoise qui pourrait être celle d’un brave médecin de campagne embourgeoisé. Une pancarte signale avec discrétion le siège du Mas d’Alezon.

Je suis donc bien chez Catherine Roque, dont la propriété faugéroise n’augmente que très modestement depuis le début des années 1990 en fonction des achats, des plantations nouvelles ou des échanges de parcelles. Un domaine qui reste modeste puisque je l’estime à une douzaine d’hectares plantés, guère plus. À moins de réclamer la DR (la très formelle Déclaration de Récolte), depuis le temps que je viens voir Catherine et son compagnon Bernard, il ne m’est jamais venu à l’idée d’obtenir la superficie exacte de la propriété. Il suffit en un coup d’oeil d’évaluer la taille de la cave dont une partie du sol a gardé sa terre battue, un beau foudre autrichien, quelques cuves et de la futaille pour comprendre que l’on est face à un modeste vignoble morcelé qui doit avoir soif en été avec juste ce qu’il faut pour rafraîchir la vigne grâce à la profondeur du terrain, ces bris et ces plis de roches où les radicelles aiment tant se frayer le chemin divin qui mène à la fraîcheur, à la vie. Ici, contrairement à la plaine, les rendements sont sages.

Un autre de Bédarieux. Deux domaines pour une vigneronne. ©MichelSmith

Avec Catherine, côté sensibilité je dois dire que l’on est servi ! Bien que coquette, avenante, souriante et toujours accueillante, je n’ai jamais réussi à fixer son visage sur pellicule, comme on disait jadis avant que le téléphone portable ne vienne envahir nos habitudes. Malgré le mien de téléphone – qui n’est pas si “smart” que ça, faute de pouvoir rassembler les centaines d’euros nécessaires à un achat d’iPhone -, le visage de Catherine me reste insaisissable, difficilement photographiable (la photo n’étant pas mon métier) tant la timidité peut gagner ce petit brin de femme à l’allure frêle, songeuse, mystérieuse. La chevelure d’un cuivré-cendré-foncé telle la lionne, la voix douce sensiblement fragile, parfois à peine audible, les paupières qui se baissent en signe de concentration à la manière d’une héroïne de dessin animé, tantôt muette, tantôt bavarde, voire intarissable, sujette aussi à des fous rires coquins à l’emporte-pièce, Catherine Roque (sur mon répertoire téléphonique je l’ai anoblie sous le nom “Catherine de Faugères”) ne manque pas d’humour. Intéressée par de multiples choses, cette toulousaine architecte de formation se laisse facilement transporter par la passion du vin. Alors, en fonction des stages ou des voyages (elle adore conduire), des découvertes faîtes chez un “collègue” ou des observations sur ses vignes, elle fourmille d’idées et entraine les autres sur des sujets de discussions parfois animés. Vigneronne presque à plein temps, elle n’a pas la langue dans sa poche tant elle a de choses à raconter. Une journée ne suffirait pas à la suivre dans sa cave comme dans ses vignes ! J’ai noté lors d’une de mes visites qu’elle semblait par moment avoir des attitudes de maîtresse d’école : son vignoble serait une classe composée d’éléments (pieds de vigne) à la fois sages et turbulents, élèves qu’elle tenterait de maîtriser avec douceur sans pour autant se démettre d’une certaine fermeté.

Catherine Roque at work ! ©MichelSmith

À cause de notre cher Covid, (je ne me résous toujours pas au féminin !) cela faisait un bail que nous ne nous étions vus. Invité pour une de ses soirées en plein air dont elle a le secret, sorte de garden party pour ses amis, la plupart des Britanniques installés dans le Languedoc depuis que les vins y sont devenus intéressants (“and still very much affordable”), ce qui remonte à pas mal de temps entre nous soit dit. Pour faire bonne mesure, je m’étais empressé d’enfiler ma plus belle veste estivale et d’éviter le sujet qui nous fâche – Catherine déteste le carignan qu’elle trouve rêche et amer ce qui ne l’empêche pas de l’utiliser avec parcimonie dans ses cuvées et d’en distiller les rafles pour sa Fine de Faugères que s’arrachent les connaisseurs.

Sur les tables aux nappes blanches sont disposés des plats de petits fours maison, quantité de verres et des flacons, certains offerts par les invités qui se pressent aussi pour goûter les vins de la patronne des lieux, vins issus des deux domaines en propriété, Clovallon et Mas d’Alezon, deux entités climatiques séparées de 5 ou 6 kilomètres par une énorme masse de schiste que l’on nomme ici « montagne« . L’été venu, elle aime recevoir son monde sous les frondaisons des arbres semi-sauvages dans un parc sans prétention qui, par endroits, offre quelques échappées sur la campagne et son vignoble, un jardin libre comme on en rêve, sans véritable jardinier pour le dompter, avec son coin réservé aux jeux pour les enfants et leurs copains, ses recoins et alcôves discrètes où l’on papote à deux ou trois en paix ou à plusieurs en cercle, les fesses posées sur des ardoises chauffées par le soleil de l’après-midi ou sur de grosses pierres fraîches recouvertes de mousse ou de vieux coussins. On se dit que c’est le jardin d’une architecte conçu à partir de l’ancien en y intégrant quelques surprises comme ses courges qui errent dans l’herbe, ses plants de tomates rabougris par les coups de chaleur, ses vieux mirabelliers sauvages qui ploient sous l’abondance fruitière, ses herbes et ses plantes bienfaitrices, culinaires ou tisanières. 

Ce soir-là, pour mieux recevoir, elle a mis à contribution une escouade dévouée composée de proches. Principales animatrices de la soirée, ses trois ravissantes filles, toutes mariées ou fiancées ( je le précise !), des amis du village, une ribambelle d’enfants (oui, Catherine est aussi grand-mère), et surtout le compagnon, Bernard Degioanni, journaliste culinaire italianisant à fond – je vous conseille son blog de recettes Sempre al dente – souvent fourré aux fourneaux, mince comme un fil et pas très haut de taille, transformé ces temps-ci en un pâtre grec ou en chamelier maure tant sa chevelure grisonnante est bouclée et sa barbe abondante et fleurie. Parmi les invités, outre les Anglais endimanchés pour l’occasion, il y a une bande de Danois presque tous en tenue de plage, des passionnés parmi lesquels un riche propriétaire de ceriseraies chez qui Catherine se rend pour vinifier un rare vin de cerise à tomber par terre ! Mais aussi des patrons de bistrots des environs (dont l’excellent Picamandil que je vous recommande chaudement), encore quelques sommeliers, journalistes, écrivains, tous plus ou moins acheteurs et adorateurs des vins de Catherine. Après le pinot-noir, le viognier et le vin orange, voilà qu’elle en pince pour la clairette, la syrah, le grenache, le cinsault ou le mourvèdre, dieu seul sait quoi encore car la Dame de Faugères, comme il m’arrive de la surnommer, n’est pas rebelle aux idées nouvelles.

Mais, tandis que d’autres passent leur temps à communiquer, elle et sa très inspirante et lumineuse fille cadette, Alix, travaillent sur des objectifs dont elles ne livrent les résultats qu’avec parcimonie, s’adressant en priorité à ceux qui savent déguster et écouter le moment venu. Elle aime laisser une liberté de parole et semble accepter la critique. Tout en étant préoccupée par ses vignes sudistes du Mas d’Alezon, la vigneronne reste très attachée à Clovallon, cet autre bijou de sa création où elle a fait ses débuts avec un pinot-noir d’anthologie, jusqu’à présent l’un des plus beaux du Sud de la France (le 2019 qui m’évoque par moment une compote de cerises noires est un réel plaisir). Sis à Bédarieux, tout à l’abri des Monts d’Orb et de l’imposant massif de l’Espinouse, Clovallon jouit d’un terroir bien plus frais et il suffit de goûter les deux cuvées de Faugères rouges de Mas d’Alezon pour constater cette différence alors qu’à vol d’oiseau les deux terroirs sont très proches. C’est dans ce contraste évident que j’aimerais comprendre la complexité de sa pensée et ce jeu d’équilibriste qu’elle semble aimer plus que tout.

Je crois que cette clairette n’existe plus…©MichelSmith

Je sais depuis peu que Catherine ne ferme pas la porte au négoce à taille humaine pour lequel elle intervient à la demande d’un de ses importateurs d’Écosse ou de Singapour, par exemple. « J‘aime sélectionner des vins en m’attachant à un domaine fiable qui me permettra des assemblages bien ciblés« , assume-t-elle. L’occasion aussi d’un voyage lointain et de quelques sous pour s’offrir une cuve ovoïde en béton ou une jarre en terre cuite.

Ce que je préfère chez elle c’est la dimension qu’elle met dans la diversité que lui offre son “métier”, diversité qui rejoint son insatiable curiosité allant de l’intérêt qu’elle porte pour l’Italie et ses cuves inspirées des amphores gallo-romaines, sans parler de ses propres eaux-de-vie, à l’approche de la vinification sans soufre, aux stages de biodynamie, jusqu’à son implication dans la vie locale et le syndicat des Vignerons de Faugères

Il y a quelques années, tandis qu’elle vivait encore dans le presbytère blotti contre le clocher de l’église du village – mon lieu de couchage pour cette nuit -, j’ai eu la chance de participer à cet élan nouveau, cet amour passionnel pour les vignes du Languedoc. Je me souviens d’une délicieuse Clairette tirée si je ne me trompe pas d’une vigne du côté d’Adissan, son berceau, vigne qui, je l’espère, est encore en sa possession. Il y avait aussi ce délicieux “Vin de Folie”, puis une sorte de “vin de glace” récolté fin décembre 1996 à partir d’une vigne de petit-manseng. “Comme j’en ai très peu, s’amusait-elle à propos de ce vin, à peine 500 flacons, j’ai le plaisir de choisir ceux qui le boiront !” Inutile de préciser que je faisais partie de ces heureux élus et que j’en étais ravi !

Pour un restaurant de Singapour… ©MichelSmith
Catherine et Alix, une complicité.©MichelSmith

De même que Bernard ne lésine jamais sur la quantité de plats servis, Catherine, comme d’autres vignerons atteints par le vigneronnage, adore faire goûter ses vins, y compris dans les vieux millésimes, sans jamais se préoccuper du nombre de flacons posés sur la table. La température est toujours respectée et les carafes sont prêtes en vue d’éventuels décantages. J’ai essayé de travailler, de prendre des notes, de faire mon métier et je n’y suis jamais arrivé tant l’envie de boire était plus forte que celle d’écrire.

Hormis quelques millésimes de rouges que j’ai vite délaissés, exception faite du pinot-noir, sur les trois millésimes de Faugères blanc croqués puis crachés au début, mon goût s’est porté sur un magnifique 2014 à la fois majestueux, quelque peu plantureux, mais si droit et frais qu’il devait m’accompagner jusque vers minuit, heure à laquelle les lampions commençaient à s’éteindre, moment choisi pour rejoindre le presbytère tout à moi, à quelques pas, juste en bas de la rue.

Le lendemain, vers dix heures du matin, les croissants m’attendaient avec le café ristrettissimo. Amplement suffisant pour attendre le bus et rentrer chez moi

Faugères blanc 2014, le vin de ma soirée. ©MichelSmith

Voilà l’idée que je me fais d’un bon coup de “vigneronnage”, mot qui rime si bien avec partage. À la place de Catherine à Faugères j’aurais pu aller rendre visite en tout bien tout honneur à Carine ou à Sandrine, mais aussi à Antoine ou Éric, Sylvain, Jean-Luc, Peter, Étienne, Marcel, Thierry, Patrick, Philippe, Pierre, François, Vincent et tant d’autres vignerons de tous les genres, de tous les styles, de tous les pays. Entre nous, pas besoin de savant discours, de brochures papier glacé, pas besoin de faire appel aux médailles en chocolat ou aux diplômes. Ce qui compte, un peu comme dans la vie, c’est la rencontre sans filtre avec celle ou celui qui se trouve à la tâche et qui délivre cette émotion particulière qui sied si bien au vin, sans fards, sans frimes, sans discours médiatiques, sans complexes non plus. Ainsi, le temps d’une virée champêtre j’ai pu revenir à mon poste d’observateur, sans idée précise, sans arrière-pensée, sans prise de notes, sans prise de tête, sans la science de celui qui a tout vu et tout bu, revenir à la toute fin de la rencontre, après avoir savouré la compagnie des humains et des vins, et m’entendre dire “Va, rentre bien ! Et à la prochaine !”

Michel Smith

PS. Justement, jeudi prochain marque le rendez-vous avec Marie-Louise sans laquelle le vigneronnage serait purement inconcevable.

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